Metharcana, l’écriture électroacoustique hic et nunc par Bernard Vincken

MetharcanaStephan Dunkelman (1956-2020) ; Ingrid Drese (1957-) ; Daniel Perez-Hajdu (1980-) ; Dimitri Coppe (1969-) ; Charo Calvo(1960-) ; Stephanie Laforce (1980-) ; Todor Todoroff (1963-) ; Elizabeth Anderson (1960-) ;Jean-Louis Poliart (1954-) ; Raphael Vens(1978). 113’50" – 2024 –  Livret : français et anglais. Soond. SND23010. 

C’est par un double disque que le Forum de la Création Musicale prolonge son tour d’horizon anniversaire (20 ans), dix pièces pour donner le goût de l’électroacoustique belge contemporaine, assemblées sous un titre, hommage à l’œuvre d’ouverture, due à Stephan Dunkelman, élève d’Annette Vande Gorne (comme bien d’autres ici) qui, outre les diffusions en concert, a beaucoup écrit pour l’image (plastique, cinématographique…) ou pour le spectacle vivant (danse -Metharcana se nourrit d’éléments écrits pour une chorégraphie- et mode -si toutefois la mode est un spectacle) : sa musique intrigue, chuchote, retentit (et se coule) dans l’espace.

Avec Io ou là-bas, là-haut, commande du festival Ars Musica en 2011, Ingrid Drese se fait Tijl Uilenspiegel, farceur et gueux des Flandres, pour nous amener, fous que nous sommes de la suivre, à la frontière, parfois vertigineuse (les sons mécaniques, sourds et nerveux à la fois, du métro et de la coupole de l’observatoire, à Paris) entre deux cosmogonies : la pièce est la matrice/résultante de deux autres, l’une née de l’émerveillement devant la coupole de l’observatoire qui déploie son ouverture sur les étoiles, l’autre de laquelle émergent des sons formés comme les légers plis sablonneux de la plage de Coxyde quand la mer se retire. L’idée de Daniel Perez-Hajdu pour Abstraire est, en quelque sorte, de déshabiller un monde sonore dense, de l’éplucher pour n’en garder que l’ossature, à partir de laquelle construire (abstraire) : une rotation primitive, ritualisée, que le faiseur de sons triture et fait évoluer. Le fragment de vie (Fragment of Life) grince et respire en écho aux mineurs atteints de silicose, impressionnant de présence, claudiquant d’électricité, alors que The Grass (de Charo Calvo, ex-danseuse devenue sound designer), qui lui succède, superpose les voix mâchonnées, parfois des cris réverbérés ou mélopés : on y parle d’herbe, dans une atmosphère qui cultive le glaçant.

J’avais vu If Taxus, de Stéphanie Laforce, aux Belgian Music Days en 2022 à Eupen, qui ne perd, sur disque, rien de sa poésie brute et susceptible, articulée autour de l’arbre funéraire celtique auquel elle se réfère, toxique lien entre morts et vivants. On sait Todor Todoroff, formé aux télécommunications, très impliqué dans la recherche (analyse et synthèse de la voix, informatique musicale, systèmes interactifs, perception sonore) : Voices Part III – Resistance est dense, peuplé de multiples formes vivantes, grouille de transformations numériques et spirale autour de sa fascination pour la préférence innée et inhérente que nous avons pour certaines voix plutôt que d’autres. Elizabeth Anderson, américaine installée à Bruxelles, débute L'Heure bleue - Renaitre du silence par lui, un (quasi-)silence qui sort progressivement de sa coque, comme un réveil, comme un éveil, comme une naissance, comme une ascension de l’esprit.

La déploration fait référence à l’œuvre d’art représentant le Christ mort, pleuré par Marie, Madeleine et saint Jean, après la déposition -par extension, la Déploration sur la disparition d'un musicien parle de la mort du musicien : Jean-Louis Poliart part de la lamentation qui chemine parallèlement à la dégénérescence de la vie, du corps, qu’il renforce de crescendos qui poussent la pièce vers son point culminant. C’est avec un tout autre état d’esprit que Raphael Vens conclut joliment le double disque : Intuitio, frétillant comme les reflets d’une truite au printemps, cultive une allégorie de vie, entre la spontanéité du mouvement sonore intuitif et contrainte raisonnée, pensée -ici les règles programmées de composition assistée par ordinateur.

En quelques étapes cruciales (le Poème électronique de Varèse au Pavillon Philips, la Symphonie pour un homme seul de Béjart, la Tour cybernétique de Schöffer), Todor Todoroff rappelle, dans ses notes de livret, la vivacité de l’expérience artistique, dans un pays petit mais ouvert, qui fait le nid d’un premier jet de la recherche belge en musique électroacoustique et voit aujourd’hui l’émergence d’une génération -en grande partie présente sur Metharcana- qui mêle intelligemment musique concrète et musique instrumentale ou mixte.

Son : 8 – Livret : 8 – Répertoire : 7 – Interprétation : 7 

Bernard Vincken