Jean-Louis Robert

En mai 1979, un accident de voiture interrompait brutalement la vie et l'oeuvre de Jean-Louis Robert. Reste le souvenir prégnant de son rayonnement éminemment chaleureux, tout vibrant de la passion de découvrir, de recevoir, de transmettre, de communiquer par la musique, et de l'ardeur d'éveiller à une société plus conviviale et respectueuse de chacun, fondée sur l'authenticité des rapports humains, dont témoigne une oeuvre multiforme, chatoyante, foisonnante de beautés sonores, d'une émotion et d'une densité bouleversantes, où s'affirme une voix d'une indépendance et d'une liberté souveraines, en ce sens qu'elle n'est inféodée à aucune école, à aucun système, à aucune mode. De là lui viennent sa pertinence et la pérennité de son actualité, fort heureusement attestées par quelques enregistrements. Pianiste, compositeur, enseignant (à l'Académie de Nivelles, aux ateliers du Centre de Recherches et au Conservatoire de Liège, à l'Ecole de musique de Grez-Doiceau, enfin, où sa fonction de directeur lui offrirait la possibilité de mettre pleinement en pratique ses principes pédagogiques) et animateur (au Centre Culturel du Hainaut, aux Jeunesses Musicales de Nivelles et au Centre de formation d'animateurs musicaux - Cefcam - qu'il avait créé dans cette même ville), né en 1948 près de Haine-St-Pierre (Belgique), Jean-Louis Robert a su très tôt que la composition serait sa voie. En 1967, il assiste à un concert de l'Ensemble Musiques Nouvelles commenté et dirigé par Pierre Bartholomée, au programme duquel figure une oeuvre de Pousseur. C'est la révélation d'une orientation. En octobre 1971, il s'inscrit à la classe de composition de Henri Pousseur au Conservatoire de Liège. L'osmose sera immédiate entre les deux hommes que nombre de concepts rapprochent - utopie sociétale, absence de tout ostracisme à l'encontre d'une quelconque forme de musique, volonté de décloisonnement des genres musicaux, des interprètes et du public -, mais cette identité de vues ne fera jamais de Jean-Louis Robert un épigone de Pousseur, leur relation ayant toujours été, comme l'a souligné Philippe Perreaux dans le mémoire de licence qu'il a rédigé sur le compositeur, de l'ordre de celle qui unissait Webern à Schoenberg. Amoureux fou de la musique de Sibelius, de celle de Mahler, dont on a à plusieurs reprises souligné combien la sienne était proche, fasciné par la répétitivité de Steve Reich, fin connaisseur du langage de Messiaen, dont il avouait l'influence sur sa propre musique (notamment par l'usage qu'elle fait de la percussion et des claviers), de la démarche de Cage et de l'écriture de Varèse (dont découle en droite ligne l'alternance entre le hautbois et l'orchestre qui ouvre Aquatilis), il découvre dans cette classe, par le biais d'Icare obstiné, la technique du réseau, par laquelle Pousseur réintroduit la couleur harmonique dans la musique sans renoncer aux acquis sériels et qui sera à la base de la majorité de sa production ; c'est là aussi qu'il affine ses connaissances en prenant une part active et enthousiaste à l'analyse fouillée de partitions du XXe siècle, notamment de Stravinsky, Webern, Stockhausen, Berio, et de chefs-d'oeuvre du passé, comme celle de Dichterliebe, dont Pousseur tirera la substance de l'ouvrage Schumann, le poète et de son pendant musical Dichterliebesreigentraum (CD Cyprès CYP7602). En avril 1973, la classe participe au week-end national des Chorales A Cœur Joie centré sur la chanson Le Temps des Cerises et sur ses développements potentiels, pour lequel Jean-Louis Robert compose l'un des intermèdes, Le Cerisier éclaté, grand mobile et "l'une des plus belles pièces pour piano écrites depuis de nombreuses années" (Henri Pousseur). En juin 1976, il participe pour la première fois en tant que pianiste à un concert de l'Ensemble Musiques Nouvelles ; désormais nombre de ses partitions seront destinées aux solistes de cette formation. Sa première oeuvre conservée, Instant pour piano, est antérieure aux années 70. Elle est suivie, en 1971, de deux pièces pour piano et chant, Au bord du lac et Chao-Chun. Dès l'année suivante, à côté de quelques travaux d'orchestration réalisés pour Henri Pousseur (4e Vue sur les Jardins interdits en 1974, Parade de Votre Faust en 1975), sa production s'enrichit d'un nombre impressionnant d'œuvres : Icare obstiné Vol III pour piano, créé par Marcelle Mercenier à Saint-Hubert en juillet 1972, Le coin d'Icare, 11 petites pièces pédagogiques pour piano dont "la pensée s'inspire de Debussy et de Webern", D'Icare à Liège, 3 pièces pour piano, Conte de veillée de Nouvel An pour piano. Suivent, en 1973, Le Cerisier éclaté pour piano, L'Arbre sans ombre, sur trois petits textes de Michel Butor, pour orchestre et baryton, Clav Icar, "jeu pour stimuler l'improvisation" destiné à tous les types de clavier et à au moins deux musiciens ; en 1974, Le Silence du Micocoulier pour flûte et guitare; en 1975, Le Jardin des Cercles pour tcheng, composé à la demande d'Andrée Van Belle et traité comme une uvre minimaliste à la Cage, Ascèse de Traversée pour clarinette, piano et contrebasse, qui sera "à la source de plusieurs autres [oeuvres] : le début et la fin seront notamment repris dans Lithoïde VIII, et l'idée de commencer dans le prolongement de l'accord, le sera dans Aquatilis" (Philippe Perreaux), L'Arbre des Sources, pièce en quatre parties pour ensemble instrumental dédiée à Pierre Bartholomée et écrite pour la manifestation du même nom mise sur pied par Jean-Louis Robert à Nivelles, L'Arbre des Utopies déchiffrées pour ensembles divers et chorales, dédié à Henri Pousseur, où sont cités, par des intégrations très réussies, des œuvres ou des styles de musiciens précis : Debussy, Stravinsky, Varèse, Pousseur, Webern, Xenakis, Bartholomée, Boesmans, Le Verger perdu, pièce en trois parties pour chœur mixte et 4 voix principales incorporées dans le chœur ou pour chœur mixte et instruments, Antigone pour petit ensemble et chœur d'hommes à l'unisson, L'Horizon des Eaux pour clavicorde amplifié et ensemble instrumental - hommage à Pierre Bartholomée dont Jean-Louis Robert aimait la "rigueur poétique", l'œuvre cite des figures rythmiques issues de Fancy -, Miroir des Sources, pièce très mahlérienne pour orchestre à cordes ; en 1976, Lithoïde I, II, III et IV, tous pour ensemble non déterminé, à l'exception du deuxième écrit pour trois instruments non précisés ou pour cor, trompette en ut et trombone, Calycanthe, bande magnétique construite à partir du mixage d'enregistrements de ses propres œuvres, Lithoïde V pour violoncelle ; en 1977, Lithoïde VI pour violon, VII pour orgue et trompette, Aquatilis pour orchestre, "œuvre bilan" (Philippe Perreaux) écrite à la demande de Pierre Bartholomée pour inaugurer la politique de créations qu'il souhaitait mettre en place à l'Orchestre Philharmonique de Liège, Lithoïde VIII pour quintette de cuivres ; en 1978, Domino pour percussion et piano ou deux ensembles instrumentaux non précisés, Milarepa pour 4 percussionnistes et tcheng ou tout ensemble instrumental ; en 1979, Takshasilâ I pour clarinette, Lithoïde IX, grand mobile pour hautbois que son décès a laissé inachevé. Inscrites dans une histoire magistralement assimilée et vivifiée, les compositions de Jean-Louis Robert tentent toutes d'instaurer un rapport neuf entre le compositeur, l'œuvre et l'interprète. Ainsi, pour ne citer que les œuvres présentées ici, Aquatilis offre-t-il un maximum d'indépendance à l'orchestre qui commence et termine son interprétation en l'absence du chef, Lithoïde VIII confie-t-il le choix des tempi aux interprètes et Domino se fonde-t-il largement sur l'improvisation.

catherine.robert@waterloo.eu