TOMOE

Sous titre
Représentation en musique
Catégorie
Instrument(s) soliste(s) et ensemble
2020

Tomoe

Rappresentatione pour soprano, baryton, biwa (et chant) et ensemble baroque - (Scènes I à V : 50 minutes)

Lorsqu’on m’a proposé de composer une œuvre qui pourrait faire le pendant contemporain du Combattimento di Trancredi e Clorinda de Monteverdi, quelques minutes de réflexion auront suffit pour ressentir tout le potentiel d’une telle aventure. Fasciné que je suis depuis l’adolescence par Monteverdi – émerveillement de l’Orfeo découvert à dix-sept ans, suivi par le tourbillon enivrant des derniers livres de madrigaux – et envoûté par les porosités possibles entre cultures, la proposition s’est immédiatement accompagnée de « pré-échos », sonorités inouïes, mouvements flottants et autres hybridations d’imaginaires collectifs. De la Jérusalem délivrée aux grandes narrations du Japon, il n’y qu’un pas, un océan à franchir par l’envol de notre sensibilité. Déjà se profile un hypothétique double entre la Clorinda du Tasso et Tomoe, la femme samouraï, Onna bugeisha, issue des récits du Heike Monogatari. 

« Beauté rebelle, dont la sensualité élégante rivalisait avec le maniement de l’épée […] Elle était une cavalière hors pair. Lorsqu’un combat était imminent, Yoshinaka l’envoyait comme premier capitaine, équipée d’une impressionnante armure, d’un arc et une épée disproportionnée. Elle accompli plus d’actions de valeur que n’importe quel de ses autres guerriers. ».

Dès lors, il n’en faut pas plus pour que dans mon esprit les sonorités d’instruments baroques rencontrent les éclats d’un biwa rehaussés par la beauté narrative de la voix d’une interprète magique et magistrale rencontrée lors d’un précédent projet ; figure au creux de mon Euridice effacée composée pour l’ensemble Muromachi de Tokyo (mixant instruments baroques et instruments traditionnels japonais). Ainsi Akiko Kubota me semblait-elle la personne idéale pour incarner les lieux de passage entre le « combat » Monterverdien et ces histoires mythiques exprimées par une voix bouleversante articulée sur les sonorités du biwa. Ponctuations qui amènent à se fondre dans la réunion des instruments baroques, danse et biwa/voix à l’occasion d’une nouvelle œuvre singulière issue de ma plume.

Une fois de plus j’écris ces lieux de passage qui m’obsèdent depuis de nombreuses années, pour vivre de résonances croisées entre les univers sonores différenciés. En Occident, nous parlons beaucoup de « métissage » ou de Cross-over à propos de ces rencontres de cultures musicales différentes. Malgré mon intérêt pour les musiques du monde et leur implication dans mon œuvre, j'avais quelques difficultés avec ces définitions catégoriques car je ne percevais pas exactement ma musique sous l'angle de la mixture - avec ses implications sous-entendues d'un certaine domination de la culture occidentale, mais plutôt sous l'appellation d'une Altra Cosa, une chose autre et altérée. Les compositeurs chinois, finalement m'offriront avec bonheur leur solution, eux qui réfutent cette notion de mixture pour lui substituer celle de « résonance », figurée, mais aussi dans son sens acoustique, lorsque deux sons différents résonnent dans un même lieu réverbérant et finissent par s'unir et s'anéantir dans une unique magie sonore. Fi de la relation dominant-dominé ! Demeure la fusion parfaite. La métaphore est magnifique et je l'ai adoptée aujourd'hui. Car ce lieu réverbérant n'est autre que mon imaginaire. Ce sont donc ces « résonances » du Japon et de mes sonorités occidentales, que j'aimerais vous offrir au gré de ces cinquante minutes de Tomoe. Dans l'espoir d'un nouveau souffle de liberté…

Cette pensée a d'ailleurs récemment trouvé matière à enrichissement dans la philosophie de François Jullien (sa notion d'écart et d'entre). Dès lors écrire une musique « entre » ces bornes jalonnées et différenciées que sont Monteverdi et la tradition narrative japonaise suscite l’audace de concevoir un grand « écart » fait d'invention à imaginer...

Clorinda, Tomoe ; croisements dont l’arme et l’âme sont la musique. 

Le livret est issu d'un mélange de textes du compositeurs, d'extraits de Tomoe, pièce de théâtre Nô  (textes japonais originaux du 14e siècle, traduits en français par le compositeur), et d'extraits du Dit des Heiké, traduction de S. Goto et M. Prunier (Domaine public 1928) adaptée par le compositeur.

Création partielle (scènes III à V) - suite aux conditions dues au Covid-19 : 24 et 25 septembre 2020 – Nuits de Septembre Liège - Arsonic Mons / Festival de Wallonie 2020

Interprètes de la création : Akiko Kubota, biwa/chant, Heather Newhouse, soprano, Nicolas Achten, baryton, Ensemble Ausonia, dir Frédérick Haas / Réalisation vidéo : Thierry Loreau.

L'œuvre fut composée avec l'aide financière de la commission Musique Contemporaine de la Communauté Wallonie-Bruxelles.

Compositeur(s)
Numéro
2
Durée
50 minutes
Effectif
soprano, ténor, biwa solo et ensemble baroque
Effectif complet

Soprano, ténor, Biwa et voix japonaise, ensemble baroque (violons I & II, Basse de viole, violone, objets sonores)

Date de création